Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 2, chapitre 8

Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 2, chapitre 8

Cet article est le numéro 9 d'une série de 16 intitulée Erdorin, Livre 2

**Daeithil ! J’ai besoin d’une diversion, vite !**

Kyoshi était partie depuis plus de cinq minutes, ça sentait les ennuis grand siècle. L’Eylwen murmura, en anglais galactique, dans une bague qu’elle arborait au pouce :

— Tu ou je.

— Tant qu’à faire, autant y aller les deux !, lui répondit Arko.

Daeithil glissa alors deux phrases en eyldarin à destination de son autre système de communication.

La diversion prit la forme d’un ballet en trois actes – très prévisibles, à posteriori.

Il y eut d’abord – la chaleur, sans doute – la plongée d’Eyldar dans le bassin des jardins suspendus. Des Eyldar très dénudés dans un bassin transparent, situé directement au-dessus de la salle d’exposition. Les œuvres furent immédiatement frappées d’obsolescence.

Une fois que tout le monde eut le nez levé – entre autres –, le garde du corps Rowaan, qui lorgnait le buffet depuis un bon moment, se précipita dessus et commença à s’empiffrer. C’est aussi assez impressionnant, un Rowaan qui s’empiffre !

Dans sa précipitation, le maladroit renversa une torchère sur une des tables, pile au milieu d’une sélection d’alcools forts, ce qui provoqua un début d’incendie du plus bel effet. Ce qui eut pour conséquence de déclencher les puissants extincteurs industriels mis en place, selon les normes de sécurité européennes. Le modèle qui remplit mille mètres carrés d’un épais brouillard en moins de trois secondes.

Le feu fut donc étouffé, en même temps que sortait Kyoshi, poursuivie par deux gardes pas prévus au programme.

— On décroche ! hurla-t-elle.

— Et les bouquins ?…

— Disparus ! Le coffre était vide.

Un individu caparaçonné dans une impressionnante armure semi-rigide gris anthracite, équipé d’un neutralisateur pour grandes personnes, surgit du brouillard et n’eut pas le temps de réagir avant de déguster un excellent cru sicilien – avec la bouteille. Arko ramassa le type inconscient ; il ne ressemblait pas à un vigile de l’expo, ni à un garde officiel de l’ambassade.

— Et ça, c’est quoi ?

— J’en sais rien, mais ça m’a tiré dessus.

— Et t’as pas répliqué ?

— Avec quoi ? Je n’allais pas venir ici avec mon flingue. La prochaine fois, je monte des pointes en diamant sur mes escarpins, ça pénétrera peut-être.

Une vague infrasonique dispersa la fumée autour d’eux : le second garde les avaient repérés – ou, plus probablement, avait repéré quelque chose sur lequel tirer – et tentait de les encadrer à travers la purée de pois. Arko ramassa la table du buffet et la jeta dans la direction générale. Un cri de douleur se fit entendre, mais l’action signala au trio qu’il était temps de changer d’air – ce d’autant plus que celui-ci devenait de moins en moins respirable.

Au reste, toute la réception était en train d’évacuer les lieux, tant bien que mal et dans un désordre assez spectaculaire. Dans la confusion, Daeithil surprit Kyoshi faisant un croc-en-jambe à l’artiste, qui s’effondra dans un bassin à nénuphars. Alors qu’elle lui lançait un sonde mentale composée à égale mesure d’interrogation et de reproches, la Terrienne haussa les épaules et lui répondit mentalement :

**Longue histoire.**

Arko, lui, scrutait la route.

— Dites, j’peux me tromper, mais y’a un camion et deux limousines qui sont en train d’se faire la malle.

La remarque fut ponctuée par un fort coup de tonnerre.

***

Son Excellence Jakob von Aa, dans la limousine de tête du petit convoi qui dévalait les routes de Copacabana à une vitesse peu raisonnable, ressassait sa rancœur. Il avait les livres – ses précieux livres ! – et un avion qui l’attendait non loin, mais il avait dû pour cela engager des mercenaires locaux et laisser une trace un peu trop visible à son goût. Et puis il avait entendu Eileen mentionner un intrus dans la salle du coffre – trop tard, heureusement.

Il fuyait et il n’aimait ni cette impression, ni le sentiment de déjà-vu qui allait avec.

Juste au moment où la pluie commençait à tomber avec force, le convoi négocia les derniers lacets marquant la fin du quartier de Malverde ; il ne lui restait plus qu’à traverser la ville pour atteindre Ilha de Gobernador et son aéroport discret.

Eileen porta sa main à son oreillette, l’air soudainement soucieuse.

— Excellence, je crois que nous sommes suivis.

Von Aa soupira. Déjà-vu.

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