Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde: Livre 2, chapitre 9

Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde: Livre 2, chapitre 9

Cet article est le numéro 10 d'une série de 16 intitulée Erdorin, Livre 2

Arko avait eu la bonne idée de parquer sa voiture non loin de l’ambassade et, du coup, le trio n’avait que quelques petites minutes de retard sur le convoi. La mauvaise nouvelle, c’est que, s’il avait laissé la capote grande ouverte, permettant un embarquement rapide, il n’avait pas prévue la pluie, qui commença à tomber avec force et conviction.

La descente de Malverde fut épique. Arko fonça pied au plancher, prit des virages au frein à main – profitant de la chaussée glissante – et, par deux fois, emprunta même des escaliers, pulvérisant au passage les barrières centrales qui, en temps normal, interdisaient ce genre de facéties. Les Rowaans ont une fâcheuse tendance à oublier les lois de la physique quand ils sont aux commandes d’un véhicule

Fort heureusement, entre la météo et l’heure tardive, il ne terrorisa guère que quelques chats – et ses passagères. Elles avaient renoncé à hurler : d’une part, entre le bruit du vent et l’eau dans les oreilles, Arko n’entendait rien ; d’autre part, elles étaient trempées et trop occupées à serrer les dents.

Le cabriolet déboucha sur l’autoroute dans un grand concert d’avertisseurs sonores et visuels. Arko grimaça. Son veau n’était pas vraiment conçu pour les accélérations foudroyantes et les manœuvres audacieuses et le trafic était trop dense pour espérer rattraper le convoi. Il sentit une main lui taper sur l’épaule : Kyoshi lui montrait son tableau de bord, avec une destination en évidence. Il sourit. Ça, il savait faire.

***

À bord de la limousine de tête, la tension retomba. McIntyre recevait les rapports de ses troupes en projection frontale sur ses lunettes. Elle hocha machinalement la tête et se tourna vers l’ambassadeur.

— Il semble que nous les ayons semés, votre Excellence.

— Bien. Réduisons l’allure, pas la peine d’alerter les autorités locales par un excès de vitesse. Mais gardez l’œil. À ce stade, ça ne m’étonnerait pas s’ils revenaient avec un hélicoptère de combat.

Eileen MacIntyre sourit, presque malgré elle.

— Même dans ce cas, nous saurons les accueillir.

Après une heure de route, le convoi quitta l’autoroute et se dirigea vers le pont. C’est le moment que choisi une berline décapotable pour leur couper la route.

***

Une fois sorti de l’autoroute, le trio avait quelque peu réduit la voilure, le temps que Kyoshi contacte Rinaldo et lui expose son plan. Comme elle l’avait supposé, les limitations de vitesse avaient déjà été abaissées pour compenser les conditions météo.

Par contre, sous l’autoroute, le véhicule d’Arko pouvait donner toute la démesure de son moteur gonflé, sans se soucier des intempéries. L’engin accélérait comme une baleine morte, mais sa vitesse maximale était impressionnante. Qui plus est, Kyoshi avait assez fait de bêtises avec Rogiero – l’original – sur les routes locales pour connaître quelques raccourcis. Le Rowaan lâcha donc les bourrins et traversa la ville à une allure de psychopathe.

Une heure plus tard, Kyoshi s’efforçait de suivre la situation sur son communicateur : entre le fait qu’elle était transie de froid et qu’à leur vitesse, le vent hurlait comme un damné dans ses oreilles, elle avait du mal à comprendre les échanges des Condors – aimablement prévenus par Lord Rinaldo et qui suivaient l’action de loin.

Son plan était simple : provoquer un accident, de préférence avec le camion, et faire intervenir les Condor pour constater le vol. Il faillit d’ailleurs réussir.

La queue de poisson d’Arko méritait presque de figurer dans les manuels du parfait chauffard et sa victime ne dut son salut qu’à d’excellents réflexes, acquis de longue date sur les routes américaines et texanes. Ses collègues ne restèrent pas non plus les bras croisés et, très rapidement, le dernier véhicule du convoi – un minivan dont les courbes ovoïdes masquaient assez mal des origines américaines et un blindage de contre-torpilleur – entreprit d’intercepter les importuns, pendant que la limousine et le camion prenaient le large.

Leurs consignes étaient claires : neutraliser la menace suffisamment longtemps pour que leur client puisse arriver à l’aéroport, tout en utilisant le minimum de force nécessaire. Point Defense Incorporated venait de s’installer à Copacabana, ses dirigeants n’avaient pas envie de devoir repartir aussitôt à Austin pour cause d’autorités locales fâchées.

Arko s’aperçut assez vite qu’il était tombé sur du lourd. Et du malin : si l’équipage était aussi bien armé qu’il le pensait, ils avaient juste besoin d’une excuse pour transformer leur décapotable en sculpture moderne. Il hurla : « Kyoshi, touche surtout pas à ton flingue ! Pas de provoc’ ! »

Kyoshi acquiesça ; de toute façon, avec la décapotable qui se baladait dans tous les sens et ses doigts engourdis par le froid, elle n’aurait sans doute pas été capable de l’utiliser. Elle regarda Daeithil, qui semblait presque sereine. Une brève sonde mentale lui fit comprendre qu’elle s’était en fait retirée dans une sorte de forteresse psychique, sans doute pour éviter la crise de nerfs. Elle lui envoya une pensée qu’elle espérait chaleureuse ; l’Eylwen répondit par un sourire. OK, elle tient le choc.

Elle aurait aimé en dire autant. Sa jeunesse américaine l’avait habituée à un code de la route où l’usage des mitrailleuses lourdes figurait en bonne place au côté des feux de signalisation ou des règles de priorité, mais ça impliquait d’avoir un minimum de blindage entre soi et le reste de l’univers. La décapotable d’Arko avait, dans ce contexte, un petit côté indécent – mais pas dans le genre qui lui plaisait.

Arko comprit assez rapidement qu’à moins d’un appui aérien, il n’arriverait nulle part – à part dans le décor. Il choisit donc de rompre le combat à la première sortie, laissant les mercenaires continuer vers Ilha de Gobernador.

— Kyoshi, j’ai besoin d’un plan B !

***

Quelques dizaines de mètres plus haut, un véhicule antigravité observait la scène avec un certain intérêt.

— Ils abandonnent.

— C’est sage, encore que je soupçonne qu’ils vont tenter une approche moins directe.

— Ce qui est tout aussi sage.

— Continue selon le plan de vol prévu, on passe au plan de secours.

Anthil eut un sourire gourmand.

— Mon préféré.

Texte: Alias – Illustration: Psychée – Licence: Creative Commons, partage dans les mêmes conditions (CC-BY-SA)

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