Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 3, chapitre 4

Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 3, chapitre 4

Cet article est le numéro 4 d'une série de 15 intitulée Erdorin, Livre 3

Ce fut vers trois heures du matin que la berline atteint enfin le parking du Davos Resort. La ville en elle-même n’était pas accessible aux véhicules : ancienne station de sports d’hiver à la mode au XXe siècle, elle s’était transformée en forteresse pour riches fortunés au début de la Troisième Guerre mondiale. Mais les aléas de la guerre étant ce qu’ils sont, bien peu des clients potentiels purent y arriver – le fait que les premières lignes soviétiques ne s’arrêtèrent qu’à cinquante kilomètres y fut aussi pour quelque chose.

La Coopérative Düttweiler avait racheté les lieux pour une bouchée de pain un siècle plus tard et ressuscité la station, en donnant à fond dans le pittoresque alpin de surface, la sécurité, la haute technologie et le confort de haut standing.

Pour le moment, tout ce que le trio voyait, c’était beaucoup de nuit, beaucoup plus de neige et, en plissant les yeux, quelque chose ressemblant à une gare. Le train qui reliait le parking à la station était une réplique des lignes à voie unique qui, à l’ère pré-atomique, circulaient sur la ligne, mais reconstruit au standard MTV des trains magnétiques européens. Une sorte de tramway monté en graine.

Arko était à peu près certain d’avoir largué ses poursuivants dans la montée, au prix de manœuvres qui étaient déjà déraisonnables par temps sec et sans douze heures de route dans les pattes. Ça avait payé – même si le regard de Daeithil lui laissait entendre que ça allait également se payer, plus tard.

Traversant le parking à grande vitesse, sous une averse de neige qui commençait à ressembler à une avalanche, ils trouvèrent refuge dans la gare en vrai-faux bois, style début XXe siècle. Déserte au point que leur arrivée sortit de veille les systèmes automatiques. Deux minutes plus tard, les portes s’ouvraient et le trio entrait dans le train.

L’organisation avait fait de gros efforts pour reproduire l’ambiance « belle époque », avec boiseries, banquettes rembourrées en simili-cuir et éléments en cuivre doré un peu partout. Même l’interface des systèmes d’information était Art nouveau, ce que Kyoshi jugea comme un peu exagéré. Daeithil, par contre, trouva ça charmant.

Le convoi s’ébranla, lancé par le long sifflement de la motrice, ce qui manqua de faire tomber Arko de la banquette sur laquelle il s’était affalé, abruti de sommeil. Le paysage devait être somptueux de jour ; de nuit, c’était flocons de neige sur fond noir, avec la surcouche de la réalité augmentée qui leur faisait miroiter des merveilles invisibles.

Le train n’était pas parti depuis plus de dix minutes, sur la demie-heure prévue pour le trajet, qu’Arko ronflait déjà avec application. Kyoshi s’étira ; elle avait un peu dormi, mais une vraie nuit de sommeil dans un vrai lit ne serait pas de trop. Daeithil regardait l’absence de paysage, le regard perdu dans le vide ; elle aussi avait les traits tirés.

**Courage, on est bientôt arrivés !**

C’est à ce moment que toutes les lumières s’éteignirent et que le convoi commença à ralentir.

***

Arko se frottait les yeux. La cabine était plongée dans une quasi-pénombre, à peine percée par quelques éclairages d’urgence dont la faible bioluminescence était à la peine. Le silence était presque total, jusqu’à ce qu’il l’interrompe :

Dafuq ?

— Bonne question, répondit Kyoshi. Je n’en sais rien, on dirait une panne générale. Il n’y a plus de courant, plus de réseau non plus.

— Devait y’avoir un relais dans l’train, il aura claqué aussi. Bon, on est où ?

— Je crois qu’on n’était plus très loin de la moité du chemin, mais je ne me souviens plus très bien. Je ne faisais pas très attention, non plus.

Le Rowaan fit la grimace et se passa la main sur le visage, comme pour tenter d’en expulser la fatigue.

— Bon, y’a pas d’système d’alarme dans c’wagon ?

— Je n’ai rien vu. Au temps pour la légendaire paranoïa sécuritaire des Européens !

— Ils devaient penser que ça f’sait pas assez pré-atomique.

— Vous ne trouvez pas qu’il fait froid ?

Kyoshi et Arko regardèrent Daeithil, qui avait gardé sa SecondSkin et ne portait en plus qu’une paire de bottes fourrées 100 % pur synthétique et une écharpe en laine.

Arko grimaça :

— Logique, le chauffage a pété aussi.

— Bon, on fait quoi ? On attend les secours ?

— Pas le genre d’la maison et pis on n’est même pas sûrs qu’ils ont été prévenus. Je vais voir à la loco si c’est bricolable.

Arko ouvrit la porte du compartiment, au grand dam de Daeithil, qui se recroquevilla. En temps normal, elle aurait pu tenter de gérer le froid à l’aide de son contrôle corporel, mais elle était trop fatiguée pour que ce soit efficace.

**’Sil, monte le chauffage.**

**L’énergie est presque épuisée.**

— Quoi, tu ne l’as pas rechargée ?

— Euh… je ne sais pas comment on fait…

Avant que Kyoshi n’ait eu le temps de s’énerver, elle entendit Arko hurler un « WHÔBORDAYL ! » retentissant.

Le Rowaan était encore accroché par une main à la poignée de la porte – qui, sous le poids, commençait à prendre un angle inquiétant. Il semblait suspendu dans le vide.

Texte: Alias – Licence: Creative Commons, partage dans les mêmes conditions (CC-BY-SA)

Illustration: Psychée – Illustration originale visible sur son blog

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