Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 1, chapitre 7

Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 1, chapitre 7

Cet article est le numéro 7 d'une série de 16 intitulée Erdorin, Livre 1

Elles quittèrent ensemble le jardin de l’hôtel. Depuis leur baiser, leurs doigts ne s’étaient pas décroisés.

— Fatiguée ?, demanda l’Eylwen.

— Pas vraiment, et toi ?

— Non plus. Si on allait faire un tour aux bains ?

Eyldar et Atlani partageaient la passion de l’eau et les bains publics étaient souvent de hauts lieux de la vie sociale.

Kyoshi regarda Daeithil et risqua un message télépathique :

**Toi, tu as une idée derrière la tête.** Elle dut se retenir très fort pour ne pas aller voir laquelle.

Elle remercia au passage ses mentors de la Rose de Mars – son père adoptif, plus particulièrement – d’avoir privilégié le contrôle de ses talents sur leur puissance brute ; sans contrôle, un pouvoir d’Arcane pouvait être aussi dangereux pour son utilisateur que pour la cible, elle en savait quelque chose. De toute façon, elle comprit bien vite que Daeithil n’était pas non plus une novice dans ce genre d’art dangereux ; toute tentative d’infiltration pouvait très bien se retourner contre son initiatrice.

L’Eylwen n’eut en guise de réponse qu’un sourire plein de promesse.

***

Le jour se levait lentement dans les rues de la capitale royale. Les premières lueurs du jour jetaient un éclairage surréaliste aux rues larges et verdoyantes du quartier universitaire et donnaient un aspect fantomatique aux rares silhouettes qui s’y aventuraient.

Certains rentraient complètement cassés d’une bringue inénarrable. D’autres – tout aussi glauques, quoique sans doute pour d’autres raisons – partaient au travail. Un groupe effectuait des exercices sur une pelouse, croisement d’arts martiaux lents et de stretching. Quelques rares âmes se contentaient de goûter au charme indicible de l’instant.

Tous purent croiser une étrange Eylwen, sur la peau de laquelle les premiers rayons de l’aurore jouaient pour donner des reflets inattendus, et une Terrienne qui compensait sa petite taille par une tenue vestimentaire et une joaillerie qui l’empêchaient de passer inaperçue.

Daeithil, qui avait auparavant repéré les lieux, conduisit Kyoshi vers une grande bâtisse. « Palais » est un terme plus approprié pour parler de la Dwillindi, la Maison des Fleuves. De l’extérieur, on eût dit une immense coupole, ouverte en son centre, d’où surgissaient ça et là quelques excroissances, elles aussi semblables à des coupoles miniatures. Le tout était agrémenté de quelques tours, de jardins suspendus et, couvert de verdure, se fondait dans le grand parc alentours.

Kyoshi et Daeithil entrèrent par un bâtiment de construction plus récente que l’antique bâtisse millénaire, dont la Légende voulait qu’elle fut construite peu après le Premier palais, voire même avant. Kyoshi s’étonna brièvement de ce qu’il n’y ait aucun guichet de paiement à l’entrée. Dans la civilisation atlano-eyldarin, les services publics étaient considérés comme gratuits, et les bains en faisaient partie.

Daeithil l’entraîna vers les vestiaires. Un employé de la maison d’un fort beau gabarit – visiblement d’ascendance eyldarin et atalen, ce que l’on appelait un Ataneylda – leur tendit à chacune une paire de serviettes : une courte pour se laver, une longue pour s’essuyer ; il leur proposa aussi des sels et des huiles, que Daeithil déclina. Kyoshi faillit se laisser tenter, principalement pour pouvoir rester un peu plus longtemps avec le spécimen, mais sa compagne devait vraiment avoir une idée derrière la tête. Elle l’entraîna plus loin.

Les vestiaires étaient à peu près vides. Il y régnait déjà une température plus qu’agréable, puisque prévue pour des gens sans vêtements. Les deux filles entreprirent donc de rentrer dans cette catégorie. Cela prit du temps. Daeithil aurait dit que c’était de la faute de Kyoshi et du caractère compliqué et restrictif de sa tenue, alors que cette dernière aurait prétendu que l’Eylwen avait mis quelque temps pour trouver – et comprendre – le dispositif d’ouverture, ensuite qu’elle avait fait durer la chose. Et personne n’aurait eu tout à fait tort.

Elles déambulèrent dans les couloirs du palais, le long des bassins et rivières artificielles. L’endroit était somptueux : marbres et verdure se donnaient la réplique sur plusieurs niveaux, et les tons ocre et bleu de la décoration se mariaient harmonieusement sous les voûtes millénaires. De larges verrières permettaient de goûter au lever du jour, ajoutant une touche de lumière imprévue à la symphonie visuelle.

Daeithil avait réussi l’exploit de débarrasser Kyoshi d’un bonne partie de sa quincaillerie vestimentaire. Bien que cette dernière ait précédemment prétendu avoir perdu la clé des cadenas, l’Eylwen avait pu dérouiller ses anciens talents et, les serrures n’étant guère plus que symboliques, les bracelets de poignet et de cheville avaient rejoint la combinaison dans le vestiaire. Elle avait néanmoins eu plus de mal avec le tour de cou ; non que la serrure fût plus complexe, mais Kyoshi mit beaucoup de mauvaise volonté à se le laisser retirer. Il lui avait fallu beaucoup de persuasion et de ruse, mais elle y était arrivée.

Du coup, Kyoshi se sentait plus nue qu’elle ne l’avait jamais été. Marcher ainsi de conserve, au côté de Daeithil, nue elle aussi, était en soi une des expériences les plus sensuelles qu’elle avait vécue.

De plus, elle n’avait pas de talons-aiguilles et, dans un monde où la taille moyenne dépasse le mètre quatre-vingt, elle se sentait réellement minuscule. Combiné à l’âge moyen des – rares, mais quand même – usagers, elle se sentait complètement dominée. La sensation lui était familière, diront les mauvaises langues, mais elle était dans le cas présent différente. Elle était l’enfant, Daeithil était la mère ; Kyoshi se demanda si sa compagne ressentait la même chose.

On le lui eût demandé que l’Eylwen aurait été bien en peine de répondre. Bien sûr, elle avait tendance à voir en Kyoshi sa fille et amante perdue, Inithil. Mais c’était à la limite de l’inconscient. Dans le cas présent, Daeithil se sentait plutôt l’âme d’une initiatrice. Cela lui rappelait d’autres temps, d’autres lieux.

— Tu es bien pressée, lui dit Kyoshi.

Elle s’arrêta, se tourna vers Kyoshi et passa ses bras autour de son cou.

— Oups ! Impatience… Me voila prise en flagrant délit de pulsion terrienne. Elle embrassa brièvement ses doigts et continua mentalement : **Tu dois être contagieuse.**

Le contact mental se fit plus intime que lors de leur première conversation. La télépathie permettait de redéfinir le terme « intimité » : un contact physique doublé d’un contact mental ne laissait pas grand-chose caché. Mais, au risque de se répéter, ni Kyoshi ni Daeithil n’étaient des novices en matière d’Arcanes, et toutes deux savaient fermer les portes qu’il fallait.

Elles entrèrent dans une grande pièce. Kyoshi savait que les étages supérieurs des thermes eyldarin étaient réservés à des salles de soins et de détente, voire des salons particuliers. Elle se surprit à chercher – sans succès – une caméra. Une vieille habitude.

En fait de caméra, il y avait dans la pièce, éclairée par une impressionnante quantité de bougies colorées, plusieurs éléments méritant qu’on s’y arrête. D’abord, d’épais tapis et moult coussins. Ensuite, une sorte de lit près du sol ; sa forme était curieuse, avec beaucoup d’arrondi, et semblait fort confortable. Deux réchauds à la forme élaborée jetaient des flammes bleues sous de petites vasques à large col. Enfin, un Atalen les attendait.

— Ah, Ljanjas, dit Daeithil. Je vois que tout est prêt.

Il hocha la tête, tout était comme l’Eylwen l’avait demandé la veille. L’éclairage de la salle projetait sur son visage un jeu d’ombre hypnotisant ; les traits de son visage étaient très fins. Il était un peu plus petit que Daeithil ; un corps remarquable, élancé et développé à la fois. Il avait noué ses longs cheveux châtains à l’aide d’une lanière faite de cuir et d’or tressés et ne portait en tout et pour tout qu’un pagne et un simple gilet.

Pour le coup, Kyoshi oublia complètement son sentiment de vulnérabilité et d’infériorité et son système hormonal passa immédiatement en Defcon 1. Les yeux fixés sur le mâle qui se tenait devant elle, elle adressa tout de même un message à Daeithil.

**C’était donc ça, ton idée !**

**Si elle ne te plaît pas, on peut en changer.**

Kyoshi entra dans la pièce et ferma la porte. Elle rattraperait le décalage horaire un autre jour.

Texte: Alias – Illustration: Psychée – Licence: Creative Commons, partage dans les mêmes conditions (CC-BY-SA)

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