Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 4, chapitre 12

Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 4, chapitre 12

Cet article est le numéro 12 d'une série de 12 intitulée Erdorin, Livre 4

Arko flottait paisiblement dans une brume alcoolisée. La bouteille de whisky écossais pur malt était sur le point de rejoindre les cadavres de ses deux collègues. Les points de suture sur son épaule lui tirait encore un peu, mais quelque part, le cercle rasé autour de la blessure était presque plus douloureux que cette dernière. D’autant qu’il ne supportait pas autre chose qu’un débardeur, qui mettait certes en valeur sa musculature, mais également un début d’embonpoint et une pilosité abondante.

Du coin de l’œil, il distingua une silhouette.

— Aïe.

— Encore une fois, Arko, je suis désolée.

Daeithil avait retrouvé sa chambre et, de fait, des vêtements. Encore que la jupe-pantalon et la tunique qu’elle portait, taillées dans un tissu à la limite de l’évanescence, était presque moins décentes que si elle était en sous-vêtements.

Sa présence avait d’ailleurs failli provoquer quelques accidents de tabourets auprès de la petite population d’ivrognes mondains qui semblait occuper à demeure une part non négligeable du bar.

— Je sais, princesse, répondit-il avec un sourire. J’t’offre un verre ?

Daeithil acquiesça et s’assit, sans relever le fait que, techniquement, il ne lui offrait rien du tout, vu qu’elle lui avait ouvert une ardoise illimitée dans tous les établissements du bord. Elle accepta le verre de whisky que lui tendit le rowaan, non sans une discrète réticence ; elle n’était pas très amatrice des alcools terriens, qui de son point de vue goûtaient fort et tapaient encore plus fort.

Ils burent chacun une gorgée, ponctuée par une grimace ; la gorgée de l’eylwen était plus petite, mais sa grimace plus marquée. Après un silence, elle demanda :

— Comment se porte ton épaule ? Est-ce que tu veux ?…

— Ça va, coupa-t-il. T’inquiète pas pour moi, mais va falloir qu’on cause procédures opérationnelles, toi, la gamine et moi.

— Ce n’est pas très gentil d’appeler Kyoshi « la gamine », dit-elle avec un sourire amusé.

— Nan, j’sais, mais techniquement, c’est la plus jeune d’nous trois, pas vrai ?

— Certes.

— Tiens, d’ailleurs, j’me s’rais attendu à la voir débarquer tôt ou tard. Elle s’habitue à la vie eyldarin ou elle a trouvé d’autres occupations ?

— Un peu des deux, à vrai dire. Disons que son enthousiasme dans la pratique de certaines figures érotiques non-conventionnelles n’est pas passé inaperçu et a suscité, sinon des vocations, du moins un intérêt.

— Tu veux dire qu’elle est en train d’initier des stellaires au BDSM ?

— On peut dire ça, en effet, répondit-elle.

Arko éclata de rire, ce qui était meilleur pour son moral que pour ses sutures.

***

Meriel accueillit Daeithil d’un bref baiser sur les lèvres et un franc sourire.

— Lensil, hiriel.

— Lensil, Meriel. Même si la rime est belle, je ne suis plus noble depuis longtemps.

— Ça se discute, je suppose.

— C’est mieux ainsi.

L’eylwen stellaire acquiesça et indiqua à Daeithil la chaise en face de la sienne. Elles étaient installées dans une partie de l’écospace où les quelques familles avec enfants qui avaient pris place à bord du Lithlaris s’ébattaient joyeusement autour d’une pièce d’eau, mi-étang, mi-piscine. Les piaillements de la marmaille étaient certes agaçants, mais ils avaient l’avantage de gêner aussi les oreilles indiscrètes.

— Comment va ton bras ?

— Nettement mieux, répondit Meriel en montrant le pansement blanc qui contrastait avec l’orange vif de son gilet. Je dois encore faire attention, mais je récupère bien.

— J’imagine que c’est pour cela que tu n’es pas avec tes collègues ?

Elle pouffa.

— Oui, c’est peut-être encore un peu tôt pour les pratiques de ta compagne. Mais tels que je les connais, ils voudront sans doute me faire essayer plus tard. Et puis je sais que toi, tu feras attention.

Daeithil s’amusa de l’allusion, mais Meriel n’avait-elle pas déjà exprimé son intérêt par le baiser initial ? Cela dit, elle n’était pas là que pour la bagatelle.

— Tu voulais me parler ?

— Oui. Cette résurgence hyperspatiale imprévue nous a permis de faire le point avec, disons, la maison-mère.

— Je t’écoute.

— Je soupçonne que nos commanditaires ont dû prendre quelques claques administratives, parce que la mission initiale de surveillance et interrogation de ta personne s’est soudainement transformée en protection rapprochée.

— Quelqu’un essaye de sauver la face.

— Sans doute. Quoi qu’il en soit, un nom est apparu : Gilthaniel Lintar.

Daeithil eut un petit hoquet de surprise à l’évocation.

— Tu sais qui… ?

— Oui. Je dois t’avouer que j’ai eu le même mouvement de surprise en l’apprenant. Ce n’est pas tous les jours que l’on frôle une Légende, même sous son nom d’emprunt. Elle a d’ailleurs laissé un message pour toi.

Meriel posa un petit cristal-mémoire devant elle. Daeithil dut s’y reprendre à deux fois avant de l’activer et de faire apparaître, sur un écran holographique opacifié et au champ de vision restreint, le visage de son mentor, Galadril :

— Lensil, Daeithil, dit la voix dans son bijou d’oreille. La situation évolue plus vite que je ne l’aurai pensé et il est urgent que je te voie. Je te retrouverai à ton escale sur Alenia.

L’image soupira, puis continua :

— Je sais que tu as cœur de rejoindre celle que tu penses être ta fille sur Ardanya, mais ce qui t’est arrivé il y a peu me fait penser que, si on ne clôt pas cette regrettable affaire de Lorenui une fois pour toutes, la prochaine attaque sur ta personne risque de se faire à l’arme nucléaire. J’ai confiance en tes nouveaux compagnons ; ne les épuise pas trop cette fois-ci.

L’image disparut, brièvement remplacée par un message indiquant son auto-effacement. Elle se sentit un instant trahie, mais dans le même temps, elle avait perçu dans le message de Galadril l’urgence de la situation. Ce n’était pas le genre de l’ancienne reine des eyldar de se lancer dans des changements de plans.

Meriel, qui regardait ostensiblement ailleurs, lui lança un regard interrogateur.

— Ça va, dit-elle. C’est… frustrant, mais je comprends que c’est important.

Meriel se leva et lui tendit la main avec un sourire entendu.

— Je connais un très bon remède à la frustration.

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