Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 5, chapitre 13

Cet article est le numéro 13 d'une série de 15 intitulée Erdorin, Livre 5

Galadril riait. Elle se laissait emporter par l’esprit de la fête, au sein du clan Lintar – son clan. La discussion avec Uthin avait été fructueuse, mais elle laissait présager des complications. Les contacts que ce dernier avait eu avec le clan Lessani – et, par ce biais, avec Anoldë lui-même – montrait un réel intérêt pour une mise à plat des positions, mais aussi une sérieuse réticence à abandonner l’Histoire (ou la non-Histoire) officielle. Uthin lui avait également fait part des craintes de Daeithil quant à la sécurité de l’événement, mais l’ancienne reine considérait cela comme quelque chose de secondaire. Et puis elle soupçonnait Daeithil de se laisser emporter par la paranoïa ambiante des Terriens.

La nuit, qui commençait à tomber sur cette section de la couronne, promettait d’être longue et, probablement, difficile. Mais, pour le moment, elle se laissait aller. Elle faillit ne pas remarquer la tension de Kaenir, un de ses gardiens. Soudainement, elle ressentit les signaux d’alarme résonner dans son esprit : quelqu’un – non, deux personnes en avaient après elle.

Elle se tourna vers le danger imminent. Là, sous un arbre, elle vit la petite silhouette et l’arme pointée vers elle.

Trop tard, eut-elle le temps de penser, avant qu’un taureau lancé en pleine course ne se jette sur elle. Écrasée sous l’imposante masse – qui, pour une raison qui lui échappait, sentait un peu le chien mouillé – elle sentit un craquement sinistre dans son épaule droite.

La douleur la vrilla autant que la surprise. Elle hurla.

***

Clarice cligna des yeux. Il lui fallut une bonne seconde pour admettre qu’elle avait bien vu un rowaan se jeter sur sa cible un instant avant que la balle ne la touche. L’arbre derrière elle avait littéralement explosé, projetant à grande vitesse de méchantes échardes alentours.

C’était la panique et personne ne faisait attention à elle. Slalomant entre les convives affolés et couverts d’écorchures, elle se dirigea vers sa cible. Elle sourit en voyant les gardes du corps, vexés, alpaguer le rowaan – qui devait être Arko, pas le sien – et lui coller une rafale de tirs de neutralisateurs. Cet idiot était la diversion parfaite. Elle avait encore une chance.

Clarice leva une nouvelle fois son arme. Un instant, le regard de l’eylwen, brouillé de larmes de douleur, croisa le sien. Elle appuya sur la queue de détente.

Son arme tomba au sol, sa main toujours accrochée à la crosse.

***

Kyoshi entendit le hurlement strident en même temps qu’elle vit le tronc d’arbre exploser. Quelque part, dans son esprit, elle comprit quelle arme avait fait cet effet-là. Elle ouvrit son esprit à la recherche d’un sentiment bien précis et le trouva assez rapidement.

Elle s’élança, dégaina l’épée qu’Eithar lui avait confiée et, inconsciemment, mobilisant ses forces physiques et psychiques pour foncer à une vitesse presque surnaturelle à travers la foule. Elle vit la main armée se lever et lança son bras prolongé de la lame en même temps qu’un kiai !

Elle ne sentit même pas l’impact. La main et le pistolet tombèrent au sol.

Un instant, elle se retrouva face à face avec elle-même. Avec la combinaison-harnachement et les piercings, elle eut l’impression bizarre d’être son moi passé combattant son moi présent ; son esprit laissa ce sentiment glisser sur sa carapace de combattante. L’autre la regardait avec un mélange de rage et d’incrédulité.

— Salut « Kyoshi », lança-t-elle.

L’instant retomba. De sa main gauche, son double se saisit d’un wakizashi et la chargea. Elle semblait ne même pas avoir noté le moignon, qui projetait du sang partout alentours.

Kyoshi faillit prendre un jet dans l’œil, sans jamais savoir si c’était voulu ou non, le dernier geste de défi d’une guerrière piégée. Elle esquiva l’attaque, frappa de son talon nu le genou de son adversaire, qui bascula en avant avec un cri de haine pure. Elle abattit sa propre lame sur la nuque ainsi offerte.

Elle regretta presque que le coup ne tranche pas la tête de Clarice Kwan. Il sectionna cependant sa moelle épinière, ce qui au final revenait un peu au même.

Levant la tête, couverte de sang dans sa tenue rouge vif, Kyoshi lança un regard de défi vers les rares spectateurs encore présents.

***

« Daeithil » – alias Tiriliel Aenkar – se dirigea vers la sortie du domaine. Elle entendit au loin les hurlements et l’explosion, mais elle tâcha de ne pas s’en soucier. Quelle que soit l’issue de la soirée, son travail était terminé, il ne lui restait plus que de passer de la lumière à l’ombre. Changer de tenue, couper ses cheveux et en changer la couleur. Redevenir une ataneylwen anonyme.

Oh, bien sûr, la somme promise pour ce travail n’était pas négligeable, même si ce n’était pas la motivation principale. Anthil serait satisfait et, avec lui, Lorenui.

Son sourire s’évanouit quand elle vit la silhouette qui se tenait entre elle et la sortie du domaine. Son sang se glaça dans ses veines, mais elle tenta de se ressaisir : peut-être ne l’avait-elle pas vue. Elle se glissa dans le flot des visiteurs inquiets qui quittaient les lieux et rabattit la capuche de son poncho devant ses yeux, tout en tirant ses mèches argentées vers l’arrière.

Les yeux baissés, elle passa à côté de Daeithil.

— Lensil, petite sœur. Tu nous quittes déjà ?

Le ton était moqueur, mais Tiriliel perçut la menace derrière ; elle avait vu la main de l’eylwen négligemment posée sur la poignée de son épée. Elle n’hésita pas.

Elle se retourna, souriante, les mains en l’air.

— Lensil, Daeithil. Ça aura été un honneur de t’incarner, fût-ce pour un bref moment.

Daeithil commit l’erreur de baisser les yeux un bref instant en hommage au compliment. Tiriliel activa le dispositif caché dans sa manche et le derringer bondit dans sa main. Elle lui tira les trois balles dans le torse et, sans attendre le résultat, bondit vers le portail du domaine, bousculant la foule.

Daeithil eut l’impression d’encaisser trois coups de poing d’Arko en plein plexus. Elle tomba lourdement sur les fesses, une myriade d’étoiles devant les yeux. Elle n’entendit même pas les cris de panique alentours ; les trois détonations avaient été presque aussi brutales en elles-mêmes que les impacts.

Bonne nouvelle : cette armure est aussi efficace que promis, eut-elle le temps de penser en se relevant.

Elle porta la main à l’étui à sa cuisse, et activa le dispositif qui transforma la simple poignée, un peu lourde, en un arc élégant en nanomatériaux. Elle attrapa un des courts tubes attachés au même étui, qui, instantanément, se transforma en une flèche de carbone. Ignorant la douleur dans sa poitrine, elle se redressa, banda l’arc et lâcha le trait.

Cent mètres plus loin, au milieu de la foule, sa cible fit une cabriole peu gracieuse, et s’effondra, la cuisse traversée par une flèche.

— Joli tir, commenta Eithar, qui venait d’arriver au pas de course.

— Je visais le torse.

— J’emporterai ton secret dans la tombe.

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