Erdorin, Fragments d’éternité: Laynë

Erdorin, Fragments d’éternité: Laynë

Cet article est le numéro 1 d'une série de 16 intitulée Erdorin, Livre 2

Elle avait encore pleuré.

Elle avait l’impression qu’une moitié d’elle-même avait envie de mourir, alors que l’autre moitié l’insultait copieusement et essayait de lui donner des coups de pied dans le derrière pour l’empêcher de se laisser aller.

Elle se sentait misérable, toujours enroulée dans la couverture qu’on lui avait donnée à son réveil, couverture désormais crasseuse, assise au pied d’un des rares arbres de – comment avaient-ils appelé ça, déjà ? Ah oui – l’écospace de la grande structure orbitale.

Son regard se perdait dans la vue affichée par la fenêtre artificielle : le vide stellaire, Laynë, la grande planète en contrebas à l’atmosphère grise, hostile et, de temps en temps, la rotation de la station montrait les débris du Belisandar. Leur vaisseau, qui avait failli être leur tombeau, déchiqueté à la proue et autour duquel s’affairaient quelques dizaines de petits points lumineux.

Ils avaient survécu : vingt mille passagers sur les presque cent mille que comptaient le vaisseau avant… l’accident.

Eux oui, elle…

Inithil renifla bruyamment, sans grâce. Les larmes remontaient, une fois encore.

Lensil, grande sœur.

Elle se tourna. Celebrin était arrivée juste derrière elle, sans qu’elle la remarque. Souriante, elle avait retiré le haut de sa combinaison et ses bottines, qu’elle tenait à la main. Elle jeta le tout au pied de l’arbre et vint s’assoir tout contre elle, reposant sa tête sur l’épaule de son aînée.

Au contact, Inithil sentait de nouveau les sanglots remonter, mais Celebrin parla d’une voix apaisante :

— Ils me manquent aussi, mais nous le reverrons.

— Que, comment ? Mais… ils sont…

Celebrin se tourna vers elle, ses yeux bruns plongèrent dans les siens ; à quelques détails près, un observateur aurait pu croire en une image miroir, tant les deux Eylwyn se ressemblaient. Le message télépathique était clair, direct comme une lame :

**Tu y crois vraiment ? Tu les sens morts ?**

Inithil plongea dans son esprit, leur connexion mentale se fit presque fusion. Elle était la fille adoptive, Celebrin la fille naturelle ; toutes deux anciennement princesses de Belisandar, avant que le régime monarchique n’évolue en une structure clanique plus flexible. Les gazettes et les conteurs, toujours avides de légendes flamboyantes, les décrivaient volontiers comme rivales, mais elles avaient toujours été complices – voire plus.

— Alors, où ?…, murmura Inithil.

Celebrin s’allongea sur l’herbe, savourant le contact.

— Probablement sur Erdorin, encore. Peut-être dans ce qui reste de l’avant du vaisseau ; il y avait aussi des caissons de sommeil dans cette partie. Mais nous ne le saurons jamais si nous n’aidons pas ceux qui nous ont recueilli.

— Les aider ?

— Le clan Maygran a été exilé. Ils ne veulent pas en parler, mais j’ai compris qu’ils ont fait une grosse bêtise et Galadril les a bannis de son royaume.

— Galadril… Elle est donc la reine, désormais.

Celebrin eut un bref rire.

— Tu étais là lors de la Grande dispute, non ? Ça t’étonne ?

— Pas vraiment. Combien de temps ?…

Celebrin comprit à demi-mot la question de sa sœur.

— De ce que j’ai compris, près de quatre mille ans après ce qu’ils appellent l’Exil. Nous avons dormi, erré près de trois mille ans.

— Trois mille…

— La bonne nouvelle, c’est que personne ne se souvient plus de nous. La mauvaise, c’est qu’il y a une raison à cela : le nouveau pouvoir en place a décidé d’oublier – et de faire oublier tout ce qui s’est passé sur Erdorin à la population.

— Donc, si nous revenons…

— Ils vont sans doute nous accueillir à coups de lance-dragons, ou de l’équivalent moderne. Mais, quoi qu’il en soit, Galadril n’est plus reine, désormais. Elle a abdiqué et laissé sa place à une nouvelle structure, un gouvernement collégial qui s’appelle Arlauriëntur. Le clan aimerait bien en profiter pour rentrer. Ce sont des géo-ingénieurs, ils cherchent un moyen de transformer les mondes comme celui-ci en des lieux habitables. Nous pouvons les y aider.

— Comment cela ?

Le visage de Celebrin, qu’on appelait aussi la « princesse ingénieure » – passionnée par les sciences, éduquée par les plus grands érudits de l’époque, pionnière de l’aviation et de l’espace et dirigeante de l’Académie des sciences de Belisandar – s’illumina d’un grand sourire.

— Nos archives. Toutes les connaissances récupérées des Ylech et celles que nous avons développées depuis. Les coffres de données étaient à l’arrière, ils sont à peu près intacts. Le clan Maygran bute sur un point essentiel pour leur technologie de transformation planétaire : la bio-ingénierie.

Inithil se prit elle aussi à sourire. Elle savait – de première main – que les technologies du vivant développées par les Ylech étaient sans pareille.

— Nous les sauvons, ils nous sauvent.

— C’est l’idée, mais cela signifie que le clan en-Belisandar doit disparaître.

Inithil hocha la tête.

— Officiellement.

— Officiellement. Mais il survivra, car nous survivrons.

Inithil rejeta la couverture ; elle se sentait fatiguée, mais également ragaillardie. Elle posa sa tête sur les genoux de sa petite sœur – bien plus grande qu’elle, par ailleurs.

— Et nous les retrouverons.

— Nous les retrouverons.

Texte: Alias – Illustration: Psychée – Licence: Creative Commons, partage dans les mêmes conditions (CC-BY-SA)

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