Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 5, chapitre 14

Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 5, chapitre 14

Cet article est le numéro 14 d'une série de 15 intitulée Erdorin, Livre 5

— Je dérange ?

Allongée sur la couche de massage, entourée par trois vigoureux jeunes gens, dont un massait avec application son épaule, Galadril sourit.

— Nous avions terminé. Mais si tu voulais te joindre à nous, il aurait fallu venir un peu avant.

Daeithil sourit en retour. Elle venait de passer trois jours en « résidence surveillée », dans un des bungalows du domaine Lintar, avec une Kyoshi dans un état psychologique catastrophique. Entre les interrogatoires avec la milice locale et les besoins de la Terrienne, elle n’avait pas vraiment eu le temps de s’ennuyer.

**Trois ?**

**Oui, je suis encore en convalescence, tu sais ? Et puis, il faut bien qu’ils se relaient pour se reposer.**

**Tu es incorrigible.**

**Tu n’es pas mal non plus.**

L’ancienne reine des eyldar se leva et fit jouer son épaule, encore un peu raide. Encore que, trois jours après avoir eu l’omoplate concassée par la charge d’un rowaan, on aurait pu parler de guérison miracle. Même si elle avouait volontiers que les Arcanes de l’Éveil n’étaient pas son fort, elle avait cependant un niveau suffisant pour lui permettre de réparer des os brisés.

Daeithil s’approcha d’elle et déposa un baiser presque maternel sur son front. Après tout, elle était l’aînée. Une aînée qui n’était vêtue que d’un paréo vaporeux, noué à la taille, alors que Galadril n’était pas vécue du tout. Leurs physionomies se frôlèrent.

— Je constate que tu n’as pas eu besoin de mes soins pour récupérer tes capacités.

— Besoin, non. Envie, j’avoue…

— Je prendrais ça pour un compliment.

— C’en est un. Tu connais mes préférences.

Daeithil jeta un coup d’œil vers le trio masculin, qui ne s’était pas rhabillé et s’affairait à ranger leur matériel de soins tout en restant attentifs à leur charge. « Si je l’ignorais, je pense être en mesure de la deviner. »

Galadril gloussa et attacha sa chevelure avec un de ses peignes de bois ouvragés, puis passa une simple tunique d’un orange vif, qui adhérait encore à l’huile de massage sur sa peau. Puis elle se tourna vers Daeithil.

— Marchons un peu, veux-tu ?

Le domaine Lintar était revenu à son calme habituel. Les « événements » – selon l’expression atalen, qui désignait tout ce qui n’était pas une guerre majeure – d’il y a trois jours avaient mis un point final aux festivités avant même qu’elles ne commencent. Les invités étaient rentrés chez eux, certains avec des séquelles physiques ou psychologiques qui mettraient du temps avant de s’estomper. Elles déambulèrent dans le calme du crépuscule artificiel. Les trois gardiens, à peine rhabillés, les suivaient à quelques pas.

— Donc ?

— Donc mon plan a échoué, avoua Galadril. Anoldë n’a pas daigné débarquer quand il a appris ce qui s’est passé ici.

— Crois-tu qu’il est impliqué ?

— Ce n’est pas complètement impossible, mais cela m’étonnerait.

— Permets-moi d’en douter…

— Tu ne le connais pas comme je le connais.

— Hmm…, répondit-elle avec un sourire entendu.

— Oui, aussi. Mais en plus d’avoir été dans sa culotte, j’ai aussi été dans sa tête et je pense qu’il me respecte trop pour faire quelque chose d’aussi radical. Qu’on dit tes « Doigts » ?

Daeithil s’amusa du terme.

— Je vois que l’expression a essaimé.

— Elle m’amuse ; c’est bien trouvé.

— Donc, Meriel est allée demander des explications à une certain Merithin, une des administratrices de la station qui l’avait envoyée dans un traquenard. Je l’ai accompagnée avec Kerwir et je te passe les détails, sinon que la session a été houleuse et que la susnommée est une arcaniste de bon niveau. Mais elle a fini par avouer travailler pour un dénommé Anthil Lessani Ervindil, auquel nous avons déjà eu affaire sur Terre et qui a quitté la station quasiment au même moment de l’attaque sur ta personne.

— Ah, cet Anthil-ci.

— Tu le connais.

— Hormis le fait qu’il est de la famille d’Anoldë, je l’ai eu brièvement comme élève.

Daeithil leva silencieusement un sourcil.

— Oh, rien de majeur. Amant doué, mais je ne t’apprends rien.

— Certes non, répondit-elle avec un sourire.

— Plutôt doué en suilekor, mais surtout tête de mule pour tout ce qui est politique. Il a fini par partir de lui-même quand je lui ai signifié que ses grandes idées étaient pleines de purin. On dirait qu’il m’en a voulu.

Elles pouffèrent de concert.

— Donc tu penses qu’Anthil a agi seul.

— Oui et non. Il y a cette Merithin et ce n’est certainement pas le seul membre de Lorenui à avoir compris où allait l’organisation. J’ai… parlé avec cette Teriliel, celle qui a usurpé ton apparence, et elle est persuadée qu’Anthil représente le futur de l’organisation.

Elles continuèrent leur périple en silence, pendant quelques instants. Jusqu’à se retrouver au sommet d’une petite colline qui surplombait une grande partie de la plaine de la Couronne.

— Et donc, que comptes-tu faire ?

Galadril s’étira face au paysage sourit.

— Eh bien, nous avons quelques jours de voyage à faire en commun. Et après, j’espère résoudre cette question sur un terrain neutre.

— Sur Ardanya ?

— Oui, chez une connaissance commune.

— Et avec moi.

— Bien sûr ! Qui d’autre ?

***

Les yeux grands ouverts dans la nuit équatoriale, Eylwen regardait les étoiles. Autour d’elle, les sons devenus habituels de Ardanya High School, l’École universelle, pour reprendre le terme eyldarin : les ronflements réguliers de Brian, les discussions à voix basse, les rires et les soupirs suggestifs des amants. En trois mois, elle avait fini par se faire à la promiscuité sans pudeur des étudiants ; la plupart étaient de la planète, eyldar, mais l’école accueillait aussi beaucoup de « sang-mêlés » qui portaient avec fierté leur héritage mixte.

Curieusement, malgré une éducation highlander qui insistait beaucoup sur une certaine forme de pureté génétique, elle n’avait pas eu beaucoup de mal à s’y faire. Un peu comme si son ancien moi avait déjà vécu pareille situation.

Ses camarades – « gardes du corps » aurait été un terme plus exact – eux, avaient eu plus de difficultés et certains avaient même demandé un changement d’affectation. Même Brian, avec qui elle partageait le plus souvent sa couche, n’était pas toujours à l’aise avec les invitations des uns et des autres ; au moins, il se comportait civilement et, au-delà des piques verbales, elle sentait que ses compagnons de maisonnée le respectaient.

Elle n’avait par contre jamais pu complètement se faire au cycle nocturne qui était la norme en cette période de l’année, aux journées étouffantes. Le sommeil venait difficilement, de jour comme de nuit, et son rythme universitaire en prenait un coup. Un rythme auto-imposé, bien sûr : à l’École universelle, aucun professeur n’était là pour imposer un quelconque plan d’études. D’une part, cette organisation faisait partie de l’apprentissage vers l’âge adulte et, d’autre part, lorsque les études pouvaient durer vingt, cinquante ou même cent années standards, une ou deux années de retard n’avaient que peu d’importance.

Eylwen sourit et changea sa position. À côté d’elle, Brian soupira dans son sommeil et, de l’autre, elle perçut un grognement indistinct. Elle se rappela vaguement de la jeune ataneylwen, Sindir, qui était devenue « sa plus grande fan » et à qui elle enseignait l’art de la flûte. Il n’y avait pas vraiment d’attirance, sexuelle ou autre, entre les deux jeunes femmes, mais Sindir était constamment à ses côtés et la promiscuité gênait beaucoup Brian.

Elle laissa son esprit glisser vers les étoiles. Il y avait quelque chose, là-bas. Quelque chose qui l’appelait. Quelque chose, ou plutôt quelqu’un.

— Daeithil…, murmura-t-elle dans un demi-sommeil, sans même s’en rendre compte.

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