Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 3, chapitre 1

Erdorin, Chroniques de l’Arbre-monde, Livre 3, chapitre 1

Cet article est le numéro 1 d'une série de 15 intitulée Erdorin, Livre 3

La ville sainte brûlait. De nombreux incendies ponctuaient sa géographie, particulièrement dans l’Enceinte sacrée, le quartier des temples et des sanctuaires. Les flammes formaient un chemin, retraçant en pointillé la route suivie par la créature qui, désormais, se trouvait sur le seuil du Haut-Concile.

Harikan lui jeta un regard paniqué ; il se tenait devant la grande porte du sanctuaire, les bras en croix. Les Paladins en charge de la sécurité du lieu étaient tombés, tous. Il était le dernier rempart, dérisoire. Celle qu’il avait devant lui n’était plus son mentor, mais un esprit primaire, ivre de vengeance, dont les traits – ni tout à fait masculins, ni encore féminins – rappelaient ceux des Messagers divins dont on devinait encore les représentations sur les mosaïques noircies par la fumée des incendies.

— Non !, cria-t-il, Je ne peux pas te laisser faire ça. Je sais que le Concile a eu tort, mais ce que tu veux… c’est monstrueux !

La voix de Daeithil était un pur concentré de colère :

— Dommage. Tu es le seul que j’aurais voulu épargner.

L’instant d’après, le corps désarticulé de l’homme défonçait la porte et toutes ses protections pour s’abattre, sans vie, au pied des autres membres du Haut-Concile.

— J’espère que je ne dérange pas. Je serai brève.

***

Son bracelet vibra. Elle le regarda avec détachement, comme s’il s’agissait de la main d’une autre. L’écran holographique affichait « 17 appels en absence » en regard du nom de Kyoshi. Elle hésita un instant, puis activa le bouton d’appel. De l’autre côté de la communication, la voix de la Terrienne explosa. Trop de mots, trop d’angoisse.

— Kyoshi, ne t’inquiète pas. Je vais bien. Je te rejoins plus tard ce soir.

Une pause.

— Je t’aime.

Le silence lui répondit, elle coupa la communication.

Peu de temps après leur arrivée à l’hôtel, abrutie par le vol transorbital et le décalage horaire, quelque chose avait titillé son esprit. Elle avait suivi cette impression à peine plus solide qu’un rêve. Curieusement, dans son état second, elle n’avait eu aucun mal à emprunter la ligne du tramway, à descendre à la bonne station et, après quelques minutes de marche, à arriver sur le site qui proclamait, en multiples langues, « Ostia Antica, site archéologique ».

Le premières gouttes tombèrent sur sa combinaison. Par curiosité, elle avait acquis à Copacabana une de ces combinaisons SecondSkin qu’affectionnait Kyoshi et elle devait avouer qu’elle aimait plutôt bien la sensation, malgré le côté totalement artificiel de l’objet. Elle sentait la pluie sur son corps comme s’il n’y avait rien entre l’eau et sa peau – et c’était un peu le cas, sinon une mince pellicule synthétique, parcourue de nanosystèmes qui maintenaient une température agréable.

Elle extirpa la capuche du col rigide de la combinaison ; la matière enveloppa ses cheveux, formant une sorte de bonnet semi-opaque. Elle aurait dû se faire un chignon ; tant pis.

En cette fin d’hiver, le site était déserté par les touristes ; seuls une poignée de promeneurs visitaient les lieux. Elle eut une réaction de surprise lorsque son communicateur décida, de son propre chef, de passer en mode « réalité augmentée » et que surgirent des ruines les bâtiments, comme ils se présentaient il y a deux mille ans.

Ses propres souvenirs étaient bien plus lointains. La ville dont elle se souvenait, capitale des royaumes Kelenari – « ceux de la lumière » – n’avait que peu de rapport avec les bâtiments bas en brique ocre de l’ancienne cité terrienne, devenue capitale d’un des plus puissants empires que la planète eut porté, puis, plus tard, le cœur d’un pouvoir spirituel qui perdurait encore. Mais elle faisait pâle figure à côté de celle qui l’avait précédée, près de dix mille ans plus tôt.

Elwin, la Ville Sainte ; centre du pouvoir spirituel – et temporel, également. C’était une cité d’opulence, aux vastes palais et aux hautes tours. Ces tours où les premiers vaisseaux des nuages s’amarraient. Elwin et son Haut-Concile.

Daeithil De Lleniel Canadean, Hiriel en-Belisandar, frissonna. Le temps n’y était pour rien, les souvenirs, par contre…

Et, plus que des souvenirs, les quelques échos de l’Arbre-monde, dont un des nœuds de pouvoir devait encore être par ici, quelque part.

Scuzi signora…

Elle se retourna. La nuit été tombée et une femme entre deux âges, vêtue d’une tenue à l’air officiel d’où se détachait un badge au nom de Constanza, se tenait là, un parapluie à la main, sous l’averse.

— Je suis désolée, mais le site ferme.

Son anglais galactique avait un petit côté chantant, nota Daeithil ; pas très différent de son propre accent. Elle continua :

— Je dois vous demander de partir.

— Bien sûr, excuse-moi.

La femme tiqua brièvement à l’usage du tutoiement, puis haussa les épaules. Elle raccompagna Daeithil à la sortie, lui indiquant le chemin de la station de tramway (elle se souvenait peine du trajet).

Une fois l’Eylwen partie sur le petit chemin qui serpentait entre les champs et les lotissements, Constanza Monti sortit son communicateur, lança une session sécurisée et appela un numéro qu’elle ne composait pas très souvent. Avoir une Fille des étoiles qui visite ce site, surtout hors saison, ce n’était pas très courant et, pour une raison qui lui échappait, le Monsignore était toujours friand de ce genre de renseignement.

***

Daeithil finit par commander un taxi pour retourner à l’hôtel. Elle n’avait pas la moindre idée d’où il se trouvait et elle fut même surprise de s’être souvenue correctement du nom. Le chauffeur semblait plus passionné par un événement retransmis par la radio – événement qui évoquait un combat rituel et qui semblait s’appeler calcio – que par sa passagère. En temps normal, cela aurait étonné l’Eylwen, mais, dans ce cas, cela l’arrangeait plutôt.

La porte avait reconnu le code que Kyoshi avait intégré dans son communicateur. Elle se glissa dans la chambre et se dirigea vers la salle d’eau. Clinquante, mais peu pratique, se dit-elle en épluchant – il n’y avait pas vraiment de terme plus approprié – sa tenue. Elle prit une douche chaude, se sécha et se dirigea vers la chambre. L’une des portes de la suite s’entr’ouvrit brièvement sur Arko, qui lui fit un signe du pouce signifiant, suivant les cas, « oui », « d’accord », « j’approuve » ou « c’est moi ».

Kyoshi dormait déjà, mais elle se réveilla au premier frôlement. Après un long baiser, elle lui demanda :

— Alors, qu’as-tu trouvé ?

— Des fantômes.

Texte: Alias – Licence: Creative Commons, partage dans les mêmes conditions (CC-BY-SA)

Illustration: Psychée – Illustration originale visible sur son blog

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