Erdorin, Fragments d’Éternité: Eylwen, chapitre 1

Erdorin, Fragments d’Éternité: Eylwen, chapitre 1

Cet article est le numéro 1 d'une série de 3 intitulée Erdorin, Fragments d'éternité: Eylwen

Rapport officiel, 13 août 2241, 14.00, temps standard. Commodore Alexeiev Techenko, commandant du HLS Vladivostok, explorateur de classe Magellan.

Le commodore s’interrompit un instant et regarda l’espace. L’écran reflétait en partie sa haute silhouette et son uniforme bleu nuit. Techenko ne se faisait aucune illusion : son affectation à bord de ce vaisseau lui avait été présentée comme un honneur, une promotion, mais en vérité c’était un placard. On se battait dans la Frontière…

Il reprit.

Nous venons de rentrer dans le système stellaire, code 4-Abigail.

Il se demanda un instant quelles étaient les andouilles qui, à l’état-major, avait l’idée de codes aussi stupides, puis continua son rapport.

La première escadre a entamé les recherches pour retrouver la balise. Résultats attendus d’ici à 72 heures. C’était un peu optimiste, pensa-t-il, mais baste ! Techenko, terminé.

Sur une partie de l’écran qui lui montrait le système 4-Abigail dans toute sa morne médiocrité, le texte du rapport apparut, corrigé de la plupart des fautes. Techenko surligna rapidement quelques points litigieux puis envoya le fichier sur la console de son aide de camp. Ça l’occupera…

L’icône d’un message prioritaire apparut sur un autre coin de l’écran. Il l’identifia comme venant du chef de l’escadre d’exploration. Il fit passer la communication sur l’écran principal. L’avatar du pilote apparut, avec en sous-titre son nom et sa position.

— Commodore, mes respects.

— Lieutenant Pradervand, je vous écoute. Avez-vous trouvé la balise ?

— Euh…

L’avatar tenta de simuler l’hésitation du pilote en une mimique ridicule. Techenko détestait ces simulacres d’humanité qui tentaient de compenser la faiblesse des signaux en créant une simulation de communication vidéo. Les algorithmes n’étaient visiblement pas au point, mais ça n’avait jamais arrêté les ingénieurs. Après tout, le Vladivostok était un vaisseau scientifique.

— Non, Commodore. Mais nous avons découvert autre chose. Des débris, beaucoup…

Techenko ouvrit une autre session et appela l’affichage tactique du chasseur de Pradervand. Il fronça les sourcils.

— Lieutenant, restez sur place, nous arrivons.

***

Les radars télémétriques du Vladivostok et leurs opérateurs avaient failli péter une durite. La mer de débris couvrait un quadrant de près d’une demie minute-lumière de côté ! Plus de sept milliards de kilomètres cube.

Tout le monde à bord était surexcité. Il faut dire que, passés les premiers jours de découverte du nouveau vaisseau, la mission du « Vlad » s’était avérée des plus routinières et des plus ennuyeuses. L’équipe scientifique, qui n’avait pour le moment eu qu’une poignée de balises hyperspatiales karlan à désosser, trépignait sur place comme une bande de gamins devant un sapin de Noël.

Un conseil exceptionnel avait eu lieu dans la grande salle de stratégie du vaisseau. Malgré une ambiance confinant à l’hystérie, le conseiller politique roupillait dans un fauteuil, pété comme un coing ; le pauvre n’avait pas résisté à trois mois d’exploration spatiale et l’équipage avait tout fait pour qu’il déprime. Alexeiev Techenko, du haut de ses deux mètres (avec les talons) et trente ans de carrière, mit bien cinq minutes pour rétablir un semblant de calme et la ronde des rapports commença.

Selon toute vraisemblance, attaqua le Docteur Pjetr Zalamanka, il s’agit non pas d’un, mais de deux vaisseaux. L’un est un voilier stellaire, de construction eyldarin. Si le concept de ce genre de modèle n’a guère changé depuis les débuts de l’Arlauriëntur, un faisceau de détails nous laisse penser qu’il s’agit d’un vaisseau très ancien. Le second était probablement plus récent et, au vu du peu qu’il en reste, un vaisseau militaire. À première vue, leur destruction remonte à près de trois mille ans, probablement à la chute de l’Arlauriëntur.

Il leva la tête de l’écran de son portable pour conclure :

— Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un accident.

La nouvelle fit retomber l’excitation avec un grand bruit mat.

***

— Rapport officiel, 2 septembre 2241, 2315, temps standard. Conformément à la décision votée en conseil le 18 août, référence rapport officiel de ce jour, quinze autres corps ont été détruits. Ce qui porte le total des victimes à cent cinquante-six.

Alexeiev Techenko se frotta les yeux ; il était fatigué. Ils avaient exploré tous les débris, sans trouver le moindre indice quand à l’origine de ces vaisseaux. Aucune identification, rien. Un débat entre scientifiques faisait rage, certains prétendant que tous les systèmes d’identification auraient été détruits à dessein. Mais par qui, et pourquoi ? En plus, l’endroit était truffé de vieux missiles photoniques, dérivant tels des mines et se réactivant dès que quelque chose avait le malheur de caresser leurs senseurs à rebrousse-poil. Trois chasseurs avaient été détruits, un pilote tué et un autre sérieusement blessé.

Central City voudrait des comptes, ou tout au moins des preuves tangibles. Il y avait bien les corps des victimes, mais il avait préféré ordonner de les détruire. Cela n’allait probablement rien arranger : les généticiens fous du Bureau du Census étaient prêts à vendre père, mère et enfants prépubères pour disséquer un Eylda. Seulement le Commodore Techenko avait des principes, et ça allait probablement chauffer pour son matricule, qui n’en menait déjà pas large.

Perdu dans ses pensées, le vieil officier – il se sentait soudainement beaucoup plus vieux que ses cinquante-huit ans – faillit ne pas noter la lueur d’appel qui clignotait. Il enclencha la communication.

— Lieutenant Kiptanai ?

— Commodore, nous avons…

L’avatar s’anima comme un personnage de dessins animés. Le rapport final de Techenko sur le nouvel appareillage allait être gratiné.

— Lieutenant, vous allez bien ?

Affirmatif, Commodore, juste un peu… L’Africain chercha ses mots. Un peu ému. Nous avons trouvé quelque chose, Commodore. Un sarcophage…

Texte: Alias – Licence: Creative Commons, partage dans les mêmes conditions (CC-BY-SA)

Illustration: Psychée – Illustrations originelles visibles en entier sur le blog de l’illustratrice

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