Cinq choses à (ne pas) faire quand on écrit un jeu de rôles

Cinq choses à (ne pas) faire quand on écrit un jeu de rôles

Il y a peu, Jérôme « Brand » Larré a lancé l’idée des Cinq Trucs, qui consiste à demander à des auteurs de jeu de rôles cinq astuces pour réussir son jeu. Il m’a demandé d’y participer, ce qui est gentil, mais un peu gênant vu que je ne suis pas certain qu’on puisse considérer que Tigres Volants est un jeu de rôles réussi. Certes, ce n’est pas non plus une catastrophe ludique majeure, mais quand on n’atteint pas le « point mort », on ne la ramène pas trop.

Sauf quand on est Genevois, bien entendu.

En fait, ça tombait plutôt bien: je m’étais déjà posé la question sous une autre forme et j’avais commencé la rédaction d’un billet qui aurait fait bien dans le défi Summer of Fail, genre « voilou ce qu’il ne fait pas faire en édition de jeu de rôles » (avec, en numéro un, utiliser un terme comme « voilou »). Le plus dur est de se limiter à cinq « erreurs ».

Petite précision (mise à jour au 7 août): ce n’est pas une idée « sur invitation ». Comme le dit Brand, qui a depuis ouvert une page Paroles d’auteurs, si vous avez envie d’écrire sur le sujet, c’est open bar!

1. Réfléchir au format

Quand le livre de base de Tigres Volants est sorti, j’étais fier comme un pou: 320 pages, couverture rigide, ça claque! Ouais. Sauf que le temps des gros livres de base monolithiques est un peu résolu. Si je devais le refaire aujourd’hui, je viserais un bouquin au format plus petit (le 16×21 que l’on retrouve un peu partout maintenant) et avec moitié moins de pages.

Ça permet aussi d’avoir des choses à poser dans les suppléments. Parce que si on veut durer un peu, et à moins d’avoir dans l’idée d’avoir un jeu qui soit complet en un seul volume (ce que l’on appelle un burst), mieux vaut penser à l’avance à une gamme. Ne pas tout mettre dans le livre de base, même si, dans sa tête, ça paraît incomplet. Si vous avez un univers un tant soit peu complexe, ça ne sera jamais complet.

À partir du moment où on publie un ouvrage, on espère être lu; dans le cas d’un jeu, on espère aussi être joué. Vous allez rire: c’est important. Or, le lecteur-joueur n’a pas forcément besoin d’avoir dix pages d’explications sur les systèmes économiques sous-jacents de votre univers. Par contre, il a besoin de savoir ce qu’on peut jouer et dans quelles circonstances.

J’ai découvert assez vite que « tout » n’est pas une réponse appropriée. En fait, c’est un de ces cas où « tout » est équivalent à « rien » dans la tête des gens. Trop de choix tue le choix. Il faut un cadre raisonnable pour que les joueurs puisse comprendre très rapidement ce qu’on joue et dans quel état d’esprit. Quitte à faire autre chose après.

Autre point sur le même sujet: penser aux scénarios. Bon, c’est peut-être quelque chose qui est typique chez moi, mais j’ai pas mal de difficultés à imaginer des scénarios; or, c’est quand même le type de contenu le plus immédiatement utile pour vos clients.

2. Prévoir les illustrations

Au niveau le plus basique, même l’illustrateur le plus chevronné aura besoin d’un certain temps (comme le canon de Fernand Reynaud) pour faire un dessin. S’il doit en faire vingt ou cinquante, multipliez par autant; oui, ça fait vite beaucoup. Donc, les commandes d’illustrations deux mois avant l’impression, ce n’est pas une bonne idée. D’autant plus qu’il faut savoir quelle illustration prévoir. Et décrire la chose. Ça ne se fait pas tout seul et, en plus, c’est souvent sujet à interprétation quand ce n’est pas assez détaillé – ou trop.

Enfin, il y a la cohésion graphique. C’est un point capital quand on a un univers un tant soit peu complexe, avec des cultures typées et, surtout, sur lequel travaillent plusieurs illustrateurs. J’ai testé le concept de la « Bible graphique » – soit en utilisant des images récupérées ça et là, soit carrément en demandant à un illustrateur de le faire – et c’est probablement la meilleure approche (même si, dans mon cas, j’aurais pu et dû mieux développer cet aspect).

Encore fait-il en avoir le temps et les moyens: c’est comme pour tout, pour que ce soit bien fait, il faut investir du temps pour trouver des références (ce qui implique aussi d’être au point dans sa petite tête) et de l’argent pour solliciter un illustrateur qui fera les croquis de base.

3. Les avis des gens sont importants (mais ça dépend des gens)

Ceux qui me connaissent savent que j’ai la sale habitude de ne garder que les commentaires avec lesquels je suis d’accord. Je crois qu’on est un peu tous comme ça, ce qui ne veut pas dire que c’est une bonne idée. Si on demande l’avis des personnes extérieures au projet, c’est pour une raison autre que pour dire qu’on l’a fait – ou, à tout le moins, ça devrait.

Là encore, c’est une question de temps: il faut se laisser le temps pour, d’une part, permettre au relecteur de relire – c’est la moindre des choses. D’autre part, il faut aussi digérer les commentaires: des réactions épidermiques du genre « mékilékon, il n’y comprend rien! » sont à prévoir et se réserver une marge de temps permet de pouvoir y réfléchir au frais.

Dans le même temps, il faut apprendre se méfier de l’enthousiasme des fans, surtout sur Internet. Annoncez un projet et vous allez sans doute avoir une bonne dose de personnes qui vont s’enthousiasmer pour lui, ne serait-ce que par politesse. Il ne faut pas croire que, si l’annonce de votre projet entraîne 200 « like », autant de commentaires et a été repris par quatre sites d’agrégation, vous allez en vendre 200 et bien plus.

D’une part, il est fort probable que le plus fort de ces 200 commentaires ont été écrits par vous et trois potes. D’autre part, le « rôliste Internet » est un animal qui a souvent peu de choses à voir avec le « rôliste lambda », celui qui joue à D&D, Cthulhu ou Vampire avec ses potes et se renseigne sur les nouveautés dans sa boutique préférée autour de Noël. Oh, le rôliste lambda a bien Internet, mais il l’utilise surtout pour regarder des LOLcats et organiser ses prochaines beuveries avec des potes non-rôlistes.

OK, j’exagère un peu et ce qui était vrai en 2006 l’est de moins en moins aujourd’hui. J’ai néanmoins l’impression qu’une forte minorité, voire une majorité de rôlistes n’utilisent pas Internet pour le jeu de rôles. Donc, ne vous fiez pas trop à un buzz du diable pour faire votre promo.

4. La promotion, ça coûte cher et ça ne rapporte pas forcément

Une des méthodes de promotion les plus efficaces pour un jeu, c’est d’être présent, en personne, dans les conventions. Cette méthode a un gros défaut: elle coûte cher. Transports, logement, repas: si on a le malheur d’habiter dans le trou du cul du monde (et ce même si on pense être son nombril), ça fait tout de suite des week-ends qui chiffrent – sans parler des questions domestiques, si on vit avec quelqu’un de réfractaire au jeu de rôle.

On peut essayer de se faire inviter, mais c’est loin d’être évident: c’est la crise pour tout le monde, les budgets associatifs étant ce qu’ils sont, le mieux que l’on puisse espérer, en général, c’est l’entrée gratuite, un stand pas trop cher et peut-être des collations. Du coup, il faut en vendre, des bouquins, pour rentrer dans ses frais!

Par contre, c’est vrai que c’est souvent redoutablement efficace pour vendre et, en plus, ça permet de réseauter. Le réseautage en lui-même ne fait pas tout (voir chapitre Internet ci-dessus), mais ça permet de confronter des expériences et de glaner des idées qu’on n’aurait jamais eu tout seul (et sobre).

5. Le financement, ce n’est pas trivial

J’ai déjà eu l’occasion de parler de mes expériences dans le domaine: en résumé, le financement participatif via des plateformes comme Ulule, Kickstarter ou IndieGoGo (entre autres) peut être un outil extrêmement pratique pour financer la réalisation d’un jeu. Seulement, ça implique une certaine préparation, de la logistique et beaucoup, beaucoup de clarté dans sa communication.

Déjà, le bon moment pour lancer un tel financement, c’est quand le projet est presque fini: dans mon cas, je l’ai lancé alors que le texte était terminé à 90% et que j’avais déjà lancé des commandes d’illustrations. Au final, la campagne est sortie un peu moins de six mois après son financement; c’est beaucoup, mais c’est surtout parce qu’on a eu du retard pas prévu au programme.

Si on prévoit des contreparties particulières (comme une édition de luxe ou, comme je l’ai fait, des portraits de souscripteurs en illustration), il faut intégrer ça dans son plan de travail. Il faut aussi prévoir le fait qu’une fois les bouquins livrés, il faudra les envoyer aux souscripteurs qui en ont fait la commande. Croyez-moi: même avec soixante souscripteurs, c’est le bordel à gérer!

Surtout, surtout, soyez clairs: tel que je le perçois, le financement participatif est autant – sinon plus – un exercice de communication que de comptabilité.

Soyez clairs dès le départ dans l’état de votre projet, votre but de financement, ce que vous allez faire avec les sous, etc. N’hésitez pas à revenir, pendant la phase de financement, sur l’avancée du projet auprès de ceux qui ont déjà souscrit. Soyez raisonnable avec vos buts supplémentaires et vos contreparties, mais réfléchissez à des solutions alternatives. Pensez aussi aux boutiques et proposez des « packs » à prix réduit.

Planifiez, communiquez, respirez. N’oubliez pas de respirer, c’est important.

On ne le répètera jamais assez: en Francophonie, on ne vit pas du jeu de rôle. Dans le meilleur des cas – limite hors statistique – on peut envisager survivre quelques temps. On peut faire de l’argent avec; si on est douée et/ou qu’on a de la chance, on peut espérer faire un bénéfice, mais ceux qui arrivent à en faire leur vrai métier se comptent sur les doigts de main gauche d’un bûcheron maladroit.

Autant donc prendre les choses tout de suite à la légère: le milieu compte assez d’égos surdimensionnés comme cela – probablement même plus que d’acteurs. Le mien y compris, donc: la preuve, je vous assène ces conseils péremptoires du haut de mon expérience et de mon statut d’Auteur. Mangez-ça dans la tête, cloportes!

Bref. Ce n’est pas la peine de se prendre le chou avec la thune: vous n’en ferez pas assez pour que ça vaille de se fâcher avec vos pairs qui, de toute façon, ont déjà tout vu, trois fois, et c’était mieux avant.

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Alias

7 thoughts on “Cinq choses à (ne pas) faire quand on écrit un jeu de rôles

  1. Side effect étonnant de ton article (mais lire et commenter ton roman doit aussi y être pour quelque czhose), j’ai envie de ressortir tout ce que j’avais commencé à écrire pour Tigre Volants version Openrange (qui devait d’ailleur etre baptisée Erdorin 2295)

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